François Bayrou : "La bonne politique, c'est d'avoir un cap et de s'y tenir avec constance"

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François Bayrou était l'invité d'Arlette Chabot, sur Europe 1, lundi 16 janvier.

Nicolas Poincaré : Et c'est l'heure de l'invité politique d'Europe 1 soir, l'invité d'Arlette Chabot. Arlette, vous recevez ce soir un candidat à la présidence de la République.

Arlette Chabot : François Bayrou, bonsoir.

François Bayrou : Bonsoir.

AC : Alors, est-ce qu'on ne s'est pas inquiété, j'allais dire à l'excès, après l'annonce de la décision de Standard & Poor's de dégrader la France d'un cran, puisqu'aujourd'hui, on s'aperçoit qu'une autre agence, Moody's, j'allais dire, garde sa confiance à la France, elle ne sera pas dégradée et en plus, lorsque la France a voulu emprunter aujourd'hui, elle l'a fait sans problème : 8 milliards et demi avec des taux plus bas. Donc, on s'est alarmé pour rien ?

FB : Si on veut se rassurer à bon compte, on peut le faire. On peut toujours le faire. Dans les chiffres, comme vos auditeurs le savent bien, il y a toujours à boire et à manger. Mais la vérité très simple, c'est que tout cela, ce sont des indices croissants ou enfin, des indices qui chaque fois deviennent plus grave de la mauvaise santé de notre pays. Et à cela, personne ne se trompe. Alors, vous dites "on a emprunté à pas cher". On a emprunté à pas cher à trois mois.

AC : A court terme, oui.

FB : A trois mois. Alors, d'ici trois mois, il n'y a pas de gens, j'espère, responsables et sérieux qui pensent que la France peut faire faillite, donc on se rassure à bon compte. Mais si on veut prendre un peu de recul, tout ceci est à rapporter à la succession d'informations ou de nouvelles que nous avons qui montre que ça ne va pas. Et si vous sortez auprès de vos auditeurs et que vous leur demandez "est-ce que ça va ?", "est-ce que ça ne va pas ?", ils vont tous vous dire à juste titre que ça ne va pas. Pourquoi ? Tout simplement, parce que le chômage devient galopant : ils le savent dans leur famille : c'est leurs enfants qui ne trouvent pas de boulot ; le pouvoir d'achat s'effondre : ils le savent dans leur famille : c'est eux qui ont du mal à faire les fins de mois ; et le déficit et la dette, ils voient bien à la télévision tous les jours que c'est de plus en plus grave. Donc, je pense qu'il est inutile de faire des réquisitoires. Ce qu'il faut regarder, c'est ce qu'on peut faire pour l'avenir du pays et ce qu'il faudra faire et de quelle manière il faudra le faire pour qu'on s'en sorte. Ca, c'est le sujet principal.

AC : Je vous ai posé cette question, parce que tout à l'heure, en Espagne, le Président de la République, Nicolas Sarkozy, au côté du Premier Ministre espagnol a dit ceci :

Nicolas Sarkozy : "Tout juste me permettrez vous de pointer le manque de sang-froid de tous ceux qui se trouvaient tellement bavards et agités vendredi et qui sont tellement silencieux lundi en fonction de ce que dit une agence ou de ce que ne dit pas une autre agence. La politique économique d'un grand pays ne se définit pas par des à-coups".

AC : Vous lui répondez ?

FB : Ah, ça c'est vrai, la politique économique d'un grand pays ne se définit pas par des à-coups. Il eût donc mieux fait qu'il n'en fit point. Mais bon…

AC : Et s'il vous avait convié aujourd'hui à deux jours du sommet social, du sommet sur la crise, que lui auriez-vous dit à Nicolas Sarkozy ?

FB : Chaque fois qu'il m'a invité à venir lui parler de la situation du pays ou de la situation de l'Europe, j'y suis allé, parce que c'est mon devoir et je lui aurais dit une chose simple : l'idée qu'on va changer complètement de politique pendant les derniers jours d'un quinquennat, alors qu'on a fait le contraire et qu'on a pris un certain nombre de décisions qui nous ont amenés où nous en sommes, alors qu'on a été, aussi… comment dire… léger ou insouciant, par exemple quand on a pris les décisions du bouclier fiscal que tout le monde sait qui était faite pour protéger les plus favorisés des Français, comme si c'était ça la question, eh bien, changer de cap, changer de ligne, repartir en sens inverse de ce que l'on a fait, ce n'est pas de la bonne politique. La bonne politique, c'est qu'on est un cap, qu'on s'y tienne avec constance, qu'on sache où l'on va et qu'on fasse partager aux Français ses choix. Vous comprenez, on ne parle pas aux Français pour leur dire les choses. On va leur parler une fois tous les six mois…

AC : Mais pourtant Nicolas Sarkozy dit "je dis la vérité", il dit qu'il va dire la vérité, la réalité aux responsables syndicaux mercredi…

FB : Aucune pédagogie n'a été faite de la crise et pour une raison simple, c'est que ceux qui sont au pouvoir changent de cap à peu près tous les mois ou tous les trois mois… Hier, la TVA sociale, c'était très mal, demain la TVA sociale, ça va être très bien…

AC : Et vous, vous trouvez que c'est bien ?

FB : Hier, le bouclier fiscal, c'était très bien et demain… Enfin, hier, avant-hier, le bouclier fiscal, c'était très bien, hier, c'était très mal.

AC : La TVA sociale, vous dites que vous êtes réservé, donc c'est oui ou c'est non, ou c'est trop tard ? C'est une bonne mesure mais pas maintenant ? Elle tombe mal ?

FB : La TVA, c'est un impôt. Un impôt, c'est fait pour le budget et ça tombe très bien, parce que le budget de la France est hélas dans un déficit de 100 milliards dont pour l'instant, on n'arrive pas à modérer le montant. C'est ce déficit qui nous plombe et qui nous oblige à emprunter. Tant qu'on mélangera ainsi les impôts et les taxes destinées à la Sécurité Sociale dans une espèce de méli-mélo dont on ne se tire pas. D'autre part…

AC : qu'est-ce qu'on fait alors? Qu'est-ce qu'on fait ? Que propose François Bayrou ?

FB : D'autre part, TVA sociale pour que ça ait un effet, tout le monde s'accorde, on l'a dit à votre micro dix fois, il faudrait un montant considérable : cinq points dit-on, passer la TVA de, mettons 20, enfin 19,6 à 24,5, tout le monde dit ça. Eh bien, si vous augmentez la TVA de 5 points, naturellement vous provoquez un choc dans le pays et une baisse du pouvoir d'achat, d'abord des salariés, parce que ceux qui vont les premiers trinquer, c'est ceux qui gagneraient plus pour… qui travailleraient autant pour gagner moins, donc ça ne va pas, et…

AC : Et il y aura un allègement du coût du travail pour les entreprises?

FB : Et laissez-moi finir, laissez-moi finir la phrase, laissez-moi finir la phrase, et puis, les retraités…

AC : les fonctionnaires…

FB : Et puis les chômeurs et puis les étudiants. C'est ceux-là qui vont être en première ligne d'une hausse qui serait comme ça, massive de la TVA. Autrement, les hausses modérées, elles auraient un effet très important pour le budget, elles n'auront pas d'effet sur le coût du travail ou il sera tellement marginal qu'il ne comptera pas dans cette affaire de compétition internationale qui nous occupe tant. Et donc, je trouve que ce n'est pas bien réfléchi, que c'est précipité, que c'est improvisé et que le gouvernement d'un grand pays, ça ne se fait pas comme ça en improvisant à la dernière minute ce qu'on n'a pas fait pendant 5 ans.

AC : Mais pourquoi Nicolas Sarkozy prend-il le risque de ces mesures impopulaires en ce moment? Quelle est sa vraie raison à votre avis?

FB : Bah, parce que son bilan étant ce qu'il est, il faut bien qu'il déplace le projecteur vers autre chose. Et donc, il va proposer des idées que d'ailleurs, il n'arrivera pas à faire adopter…

AC : avant la fin de son mandat.

FB : Par le Parlement, puisqu'il reste cinq ou six semaines et que ça n'a pas été déposé à l'Assemblée Nationale et qu'il faut que ça soit examiné à l'Assemblée Nationale où il y aura déjà… ça chauffera et ensuite ça va au Sénat où le Parti Socialiste a la majorité et donc l'idée qu'on pourrait changer substantiellement l'équilibre de financement de la Sécurité Sociale en France en cinq semaines ne me paraît pas ni réaliste, mais on verra, ni de bonne politique, parce qu'évidemment, ça va faire flamber des polémiques dans le pays, alors qu'on a besoin de réfléchir à ce qu'on va faire pour le pays. Vous comprenez, on a besoin de calme dans tout ça. Cette espèce d'impatience fébrile est nuisible. J'ai été l'autre jour aux obsèques de Václav Havel que j'aimais beaucoup, vous savez l'homme qui a été le premier chef d'Etat de la Tchécoslovaquie libre et après le chef d'Etat de la République Tchèque après la partition, un homme tout à fait splendide. Et Václav Havel, en parlant des impatients en politique, il disait "ils sont comme ces enfants, qui pour faire pousser les arbres plus vite, leur tirent sur les feuilles." Eh bien, je pense que ce n'est pas comme ça que l'on gouverne un grand Etat.

AC : Sur la table de cette réunion avec les syndicats mercredi, il y aura le temps de travail. L'un de vos conseillers, Jean Peyrelevade, a condamné très largement les 35 heures. Vous pensez aujourd'hui qu'il faut travailler seul ? Certains disent comme Dominique de Villepin 37 heures. C'est comme ça qu'il faut aborder le problème ou pas ?

FB : Faire payer aux salariés 37 heures payées 35 sans augmentation de salaires, ça me paraît risquer et pas très juste.

AC : Alors, que faites-vous?

FB : Alors, je n'ai jamais approuvé les 35 heures dans leur principe et encore moins dans la manière dont elles avaient été mises en place, mais il faut mesurer aussi que dans beaucoup d'entreprises évidemment avec le temps, on a trouvé un équilibre nouveau et avant de déséquilibrer une fois de plus, peut-être il faut en parler avec eux : avec les entreprises et avec les partenaires sociaux. Deuxièmement, le caractère uniforme des 35 heures : il y a des métiers qui méritent d'être aux 35 heures parce que ce sont des métiers difficiles et pénibles, il y en a d'autres pour lesquels on peut discuter, parce qu'ils ne sont pas difficiles et pénibles ? Pourquoi est-ce qu'on a voulu imposer une règle générale à tout le monde qui ne respecte pas, au fond la justice dont est organisé le travail en France.

AC : Alors, François Bayrou, assez vite, vous, vous dites : fin du déficit budgétaire, c'est-à-dire retour à l'équilibre budgétaire en 2016. Si vous êtes élu, on ne va pas rigoler non plus…

FB : Mais, c'est maintenant que vous ne rigolez pas, Arlette Chabot. Je ne sais pas si vous vous rendez compte, mais le sentiment de perpétuelle inquiétude dans lequel on vit, parce que tout le monde voit bien que le sable se dérobe sous les pieds et qu'on est dans les sables mouvants et que plus on bouge, plus on s'enfonce. C'est à ça qu'il faut porter un terme pour que les gens retrouvent confiance en leur avenir. Ca n'est pas des efforts pour rien, c'est des efforts pour que notre pays ne creuse pas l'ornière dans laquelle il se trouve.

AC : Vous êtes aujourd'hui dans les sondages en hausse, partout, dans toutes les enquêtes d'opinion. Cette fois, vous êtes persuadé que vous serez second ou premier, j'en sais rien, que vous serez au second tour de l'élection présidentielle ?

FB : Oui.

AC : Il y a un mouvement en ce moment en votre faveur, il se passe quelque chose parce que François Bayrou, il y a 5 ans, a déjà parlé de la dette et des déficits ?

FB : En partie pour ça, parce que ce dont les Français ont besoin, c'est d'un président de la République dont ils soient sûrs qu'il voit juste. Et quand on regarde les affirmations des autres qui se présentent à cette élection, tous se sont trompés sur ce qui se passait et ce qui allait se produire, c'est déjà une première chose. Deuxièmement, ils ont besoin de quelqu'un qui tienne le cap, qui ne se laisse pas à tout moment tourner comme une girouette par le vent. Et troisièmement, ils ont tous compris, en tout cas, je ferai tout pour qu'ils comprennent que de cette situation, on ne sortira pas dans les petites ou graves guerres civiles d'un camp contre l'autre. S'il y a eu un moment dans notre histoire, ces 50 dernières années où on a eu besoin de rassembler les forces du pays en les respectant, en respectant les inspirations de chacun et les valeurs de chacun pour dire : "écoutez, cette fois-ci, pendant 5 ans, on va mettre entre parenthèses l'essentiel des querelles et des affrontements qui n'ont pas de sens". S'il y a de vrais querelles et affrontements, on en parle et on débat et on s'affronte. Mais en fait, tous ces gens disent à peu près la même chose quand vous les écoutez de loin : eh bien, que pour une fois, on accepte de rassembler les forces du pays au lieu de les disperser. C'est le seul moyen d'en sortir.

NP : François Bayrou, il nous reste quelques secondes pour une ou deux questions d'auditeurs posées pour vous sur Internet. Une question super simple de Pierre: "si jamais vous devez être éliminer au premier tour, est-ce que vous appelez à voter au second tour pour Nicolas Sarkozy ou pour François Hollande?"

FB : Je ne serai pas éliminé au premier tour et évidemment accepter d'envisager l'hypothèse d'une défaite, c'est se mettre dans les conditions de cette défaite. Donc, j'ai dit une fois pour toute…

NC : Vous ne répondez pas ?

FB : Non, ce n'est pas ça. Je refuse d'envisager l'hypothèse dans laquelle je ne serai pas présent au deuxième tour, parce que quiconque, vous le voyez sur le paysage politique, tous ceux qui se sont présentés en disant "Mesdames et Messieurs, je me présente, mais je vous dis à l'avance que je voterai pour un tel ou une telle", tous ceux-là ont été éliminés, parce que si vous allez à une élection en souhaitant l'élection de quelqu'un d'autre, eh bien, évidemment les gens passent directement à celui que vous souhaitez voir élu.

AC : Et en un mot, vous souhaitez qu'on fasse des sondages au second tour François Bayrou – Nicolas Sarkozy ou François Bayrou – François Hollande ?

FB : Ca viendra nécessairement, ça viendra nécessairement. Mais je vous ai dit : pour faire pousser les arbres plus vite, on ne tire pas sur les feuilles. Il faut respecter le temps. On a besoin de temps et de calme pour que cette crise soit affrontée comme elle doit l'être par un peuple qui retrouve confiance dans sa volonté et ses choix.

NP : Il faut respecter les feuilles !

AC : Il faut respecter les feuilles et le temps.

NC : Merci François Bayrou.

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