"Faire de la finance un adversaire ne saurait constituer un programme en soi"

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Jean Peyrelevade, ancien conseiller de Pierre Mauroy et proche soutien de François Bayrou, a accordé une interview au journal Le Monde, mercredi 25 janvier, sur les enjeux économiques de l'élection présidentielle.

Le Monde - François Hollande propose une loi bancaire, pour "séparer les activités de crédit des opérations spéculatives". Vous y êtes favorable. Pourquoi ?

Jean Peyrelevade - Je suis favorable à cette réforme dans son principe. Mais il s'agit d'un sujet complexe, et techniquement délicat, qui nécessite de mener de longues études au préalable. Il n'est pas raisonnable d'annoncer une loi sous huit jours. Ni les États-Unis ni la Grande-Bretagne, qui ont engagé de telles réformes, n'ont procédé ainsi.

Sur le fond, il faut établir une cloison étanche entre la banque de dépôt, qui finance l'économie réelle, et la banque de marchés. La banque de dépôt émet de la monnaie. C'est un bien public. Elle doit être protégée à ce titre d'éventuels risques systémiques et prendre des risques limités. Cela suppose de ne pas l'exposer à des activités de marché extrêmement volatiles.

LM - Mais les banques arguent qu'une muraille de chine existe déjà. N'y a-t-il pas une dimension démagogique dans ce projet ?

JP - Non. Il n'existe pas aujourd'hui de murailles de chine au sein des banques. L'argent des banques est totalement fongible. La seule séparation qui existe, et qui est imposée par le régulateur, concerne la gestion d'actifs. Cette activité est obligatoirement filialisée et répond à des règles de gouvernance précises. Ce n'est pas le cas des activités de marchés !

La trésorerie des banques étant une et une seule, les risques que celles-ci peuvent être amenées à prendre impliquent aussi les dépôts. Prenons l'exemple d'une banque qui garantirait l'augmentation de capital d'une entreprise. La Bourse s'effondre et la banque subit d'importantes pertes sur l'opération. Eh bien, ces pertes affectent l'ensemble des comptes de la banque... C'est cette contagion qui me semble préoccupante.

On reproche aux normes comptables d'induire de la volatilité dans les comptes. Mais c'est surtout le mélange de ces deux modèles d'activités qui fabrique de tels risques et de la volatilité.

LM - Concrètement, quelles conséquences pour les banques ?

JP - La première étape, simple, serait de filialiser l'activité de banque de marchés. J'ajoute qu'il ne s'agit dans mon esprit que de la seule banque de marchés. Le financement des grandes entreprises est du côté de la banque de dépôt.

LM - Ne risque-t-on pas de fragiliser les banques ? Dans les bonnes années, la banque de marchés finance la banque de dépôt et inversement en période de krach...

JP - C'est l'un des points qu'il faudrait éclaircir. Mais je pense qu'une banque à réseau gérée de façon prudente génèrera une rentabilité moyenne mais stable. Si on lui adjoint des activités de marchés, elle pourra gagner beaucoup d'argent les années fastes mais en perdre aussi beaucoup en période de crise. La perte est beaucoup plus dangereuse que le bénéfice n'est intéressant.

LM - Vous avez présidé dix ans le Crédit Lyonnais. Pourquoi ne pas avoir fait cette séparation ?

JP - Je m'étais posé la question de la filialisation de la banque de marchés, mais j'avais dû y renoncer pour une mauvaise raison. La banque de marchés toute seule, sans les liquidités de la banque de dépôts, aurait eu plus de mal à se financer. Il aurait fallu plusieurs années pour repenser le modèle économique.

Il faut filialiser, s'assurer que la liquidité est là et ensuite, organiser, en coordination avec l'autorité de tutelle, une bonne régulation de ces activités. Car c'est également dans cette possibilité de mieux contrôler que réside l'intérêt de la filialisation.

LM - Il y a une dimension "punition" dans la proposition de M. Hollande. La cautionnez-vous ?

JP - Non. C'est absurde. Cela procède d'une vision schématique et racoleuse. L'effondrement de la finance mondiale trouve sa source outre-Atlantique, en 2008, dans les mauvais comportements des banques américaines et le déficit de régulation. En outre, la matière première de la finance, c'est la dette : en émettre, en souscrire, la placer.

Quand il y a un excès de dette, alors cela donne une finance hypertrophiée. Il est de la responsabilité non pas des banques mais des emprunteurs, et notamment des États, de réduire l'endettement. Ce n'est pas la faute des banques si la Grèce s'est surendettée et si la France affiche depuis trente ans un déficit permanent de ses finances publiques.

Il faut avoir à l'esprit que la banque de marchés est utile à l'économie lorsqu’elle est exercée pour le compte des clients. Elle sert par exemple à placer les émissions obligataires des entreprises. La frontière entre la bonne et la mauvaise finance passe à l'intérieur même de la banque de marchés.

LM - Les réformes engagées aux États-Unis et en Grande-Bretagne ne se font-elles pas a minima ?

JP - C'est le cas aux États-Unis, où il n'y aura pas de retour au Glass Steagall Act [loi de 1933 qui interdisait aux banques de dépôts d'être aussi des banques d'investissement, abrogée en 1999] mais où sera bientôt interdite la spéculation pour compte propre, l'activité la plus spéculative, pour toutes les banques régulées par la Réserve fédérale (Fed).

En Grande-Bretagne, le projet est très différent. Les activités de dépôts et de marchés seront séparées mais à l'intérieur des groupes. Et il n'y aura pas d'interdiction de spéculer sur compte propre. Cette réforme sert les intérêts de la City.

LM - Y a-t-il, selon vous, d'autres mesures à prendre pour "maîtriser" la finance ?

JP - Nous n'aurons pas progressé si nous ne réduisons pas le surendettement de nos économies. Faire de la finance un adversaire ne saurait constituer un programme en soi. Il est impérieux de nous désendetter. La finance, et son poids dans l'économie mondiale, se réduiront en proportion. Et on pourra alors la réorganiser.

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