Pour François Bayrou, "quand un pays est créatif, il excelle dans tous les domaines"

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François Bayrou a accordé un entretien exclusif au mensuel Beaux Arts Magazine, publié début mars, dans lequel il réaffirme sa volonté d'encourager et de soutenir la création.

Beaux Arts Magazine : Quel bilan faites-vous des cinq années de politiques culturelles menées par Nicolas Sarkozy ?

François Bayrou : Rien de nouveau sous le soleil ! Il a prolongé les politiques culturelles antérieures sans novation, sans drame, mas avec des artifices. Par exemple, laisser croire qu’on a augmenté le budget de la Culture simplement parce qu’on y a introduit la redevance télévisée est un pur artifice. Cela n’a pas ajouté un euro réel au budget de la Culture. De surcroît, la redevance n’appartient pas à l’Etat ; elle est aux citoyens, aux auditeurs et téléspectateurs. Au nombre des idées discutables, je n’approuve pas l’idée baroque de créer un musée de l’Histoire de France, comme si l’Histoire de la France pouvait être arrêtée et enfermée dans un musée. Il y a assurément de la bonne volonté de la part de ceux qui sont chargés du projet, quelques-uns sont mes amis. Mais le vrai musée de l’Histoire de France, c’est la France. Ce projet est de l’ordre de 300 millions d’euros alors que le plan pour le spectacle vivant, qui a été annoncé à Avignon, est de 12 millions d’euros…

BAM : Quels sont selon vous les points positifs et les points négatifs de sa politique culturelle?

FB : Je répondrai différemment. Quelle est la seule politique culturelle possible ? C’est de mettre en exergue la création dans tous les domaines. Je ne fais pas de différence entre la création artistique, numérique, littéraire, théâtrale, plastique, etc. Tout cela participe de la même mise en mobilisation d pays en vue de renouer avec l’esprit créatif. Je mets la création artistique au même plan que la création scientifique ou industrielle. Quand un pays est créatif, il excelle dans tous les domaines. Quand un pays est ralenti et abîmé dans sa création, rien ne marche. Aussi étrange que cela puisse paraître, la crise économique, qui fait que l’on annonce 70 milliards de déficit pour le commerce extérieur de la France, est liée à cela.

BAM : Quel rôle doit jouer l’Etat dans le domaine de la culture ?

FB : L’Etat doit être un fédérateur. Il doit permettre à tous les acteurs de la société de se déployer et de vivre. Chaque fois que je vais à Versailles, en repensant à la monarchie absolue, j’ai des interrogations profondes. Si, au lieu d’avoir concentré tant d’argent, tant de travail en un lieu dévolu au pouvoir et à lui seul, si l’on avait diffusé dans la société toutes les capacités d’intelligence, toutes ces créativités que l’on a concentrées ici, on n’aurait pas ces ensembles mélancoliques et, d’une certaine manière, vidés de leur substance. Ce sont de beaux monuments, presque trop beaux, en tout cas trop lointains. D’une certaine manière, cet éloignement portait en germe la Révolution. Et l’idée d’enfermer le pouvoir et le beau dans des lieux extérieurs au peuple, ce n’est pas ma vision. Je pense que le beau est un droit, il doit être dans la vie de tous les jours. Je le définis parfois comme devant être un luxe civique, accessible au citoyen. Non pas concentré ni enfermé. L’Etat est donc un fédérateur, un diffuseur, qui inspire et qui entraîne. Quand, à sa tête, il y a des gens pour qui la pensée, la réflexion, l’expression d’un sens esthétique existe, la création se porte mieux. La société vivante est un acteur à part entière. Vaclav Havel, que j’ai beaucoup admiré, disait, en parlant des gens qui veulent tout faire à la place de la société : « Ils sont comme ces enfants qui, pour faire pousser les arbres plus vite, tirent sur les feuilles. » La réflexion sur l’art est de type écologique : « Restaure le biotope pour que les plantes poussent d’elles-mêmes, sans passer ton temps à tirer sur les feuilles. » En France, il y a autre chose encore vers quoi je ne suis pas porté. C’est la démarche pharaonique des Présidents successifs : à chaque pharaon sa pyramide, à chaque Président son musée. Pour moi, cela a un goût de mort. 

BAM : Pendant la primaire socialiste, Martine Aubry a proposé d’augmenter le budget de la Culture de 30 à 50% en cinq ans, estimant que la culture devait être une priorité pour des raisons économiques et sociales. Qu’en pensez-vous et quel budget souhaitez-vous consacrer à la culture si vous êtes élu ? 

FB : Je pense que cela ne doit et ne peut pas être uniquement affaire de budget. Les budgets sont captés toujours par les mêmes qui sont au bout des tuyaux de distribution. Le monde des artistes, en tout cas ceux que je connais, le sait très bien. Ce n’est jamais pour eux. Si l’on veut remettre la société française en bonne santé, il faut que les finances publiques soient rétablies. C’est aussi simple que cela. On ne peut pas jardiner sur un sol dur : l’eau glisse, rien ne pousse. La vérité, qui est difficile à dire, est qu’il n’y aura pas d’augmentation massive des budgets dans les années qui viennent. Celui qui dit le contraire raconte des histoires. Et je remarque que les trois actions les plus performantes en termes de politiques culturelle n’ont rien coûté à l’Etat : le prix unique du livre qui a sauvé l’édition et les libraires ; les quotas pour la chanson française à la radio ; l’aide à la création cinématographique basée sur l’avance des recettes, la redistribution des profits des films diffusés, etc.

BAM : Si vous étiez élu, quelles seraient vos priorités et quelles seraient les trois réformes majeures que vous mettriez en place ?

FB : L’indépendance de l’audiovisuel public ; une loi-cadre sur la création, qui traitera aussi de la question des droits sur Internet ; un apurement avec calendrier crédible du soutien à la réhabilitation du patrimoine. 

BAM : Quel est le profil idéal du futur ministre de la Culture ? Un politique ? Un dirigeant culturel ? Un artiste ? Un intellectuel ?

FB : Une femme ou un homme de grande expérience, enthousiaste, ayant de l’humour, cela compte beaucoup. Il faut de l’expérience dans le monde de la culture, de la création et du public. Donc pas forcément un politique. 

BAM : Qu’est-ce qui caractérise la France par rapport au reste du monde culturel ? Quelle est sa singularité en termes de création ?

FB : Sa première singularité est de se sentir singulière. J’ai lu il y a quelques années que 85% de la création en chanson allemande se fait en anglais. Cela veut dire quelque chose des jeunes Allemands, et des jeunes créateurs. Je trouve intéressant de considérer qu’il existe – certains trouvent cela discutable, pas moi – une singularité culturelle française. Nous avons dans nos mains à la fois un héritage et une projection vers l’avenir. Les mots « création française » ont du sens. Voilà une singularité. La deuxième, c’est que la puissance publique considère qu’elle n’est pas extérieure à cette entreprise poétique. Poétique, en grec, signifie créer, faire.

BAM : Puisque pour vous l’art a le pouvoir de transformer l’individu, quel livre conseillerez-vous aux lecteurs de Beaux Arts Magazine pour les emporter vers de nouveaux chemins ? Et quel est le livre de votre vie ?

FB : Chacun trouvera le sien, mais je leur conseille une chose : lire et faire lire leurs enfants. Et, si vous voulez vraiment connaître « le » livre de ma vie, c’est un roman aujourd’hui oublié d’Ernst Wiechert, Les Enfants Jéromine. C’est un roman de formation. Wiechert a été enfermé en camp de concentration et a résisté au nazisme. Ce roman est admirable, je l’ai lu sûrement des centaines de fois, comme beaucoup des livres que j’ai aimés. Péguy, Aragon, Apollinaire, Victor Hugo, je les ai lus toute ma vie. Et Ronsard et Joachim du Bellay… Mon accès au beau, c’est la langue, la littérature. Mais ce livre-là, d’une certaine manière, il est une part de ma vie. Il est important aussi d’écrire. Les gens croient que l’on écrit pour dire ce que l’on pense. Moi, j’écris pour savoir ce que je pense. 

BAM : Vous qui êtes à la fois un homme de la terre et un homme de lettres, que vous évoque le rapprochement « agriculture / culture » ?

FB : C’est très étroitement lié. La culture et l’agriculture ont une chose en commun, qui est magique : le respect de ce qui pousse. J’ai beaucoup lu les agronomes du XVIe siècle. C’est fascinant parce qu’ils ne connaissaient pas les règles de l’agronomie mais ils ont compris ce qu’il en était de travailler un terrain, puis de le laisser se reposer un an, ou alterner les cultures. Au lieu d’imposer ses propres règles, il faut avoir l’humilité de se soumettre à l’observation. Comment pousse une plante ? Qu’est-ce que la création contemporaine ? On ne nous demande pas de juger, mais de regarder et de retenir un jugement pour respecter ce qui se fait.

BAM : Vous êtes passionné de cheval ; Jean Rochefort vient de publier un livre consacré aux tableaux du Louvre qui représentent cet animal. L’avez-vous lu ?

FB : Non, mais quand on me demande ce que représente le cheval pour moi, la première chose qui me vient à l’esprit est celle-ci : c’est une sculpture qui danse, chaque mouvement du cheval est danse. Le poulain maladroit qui cherche la mamelle de sa mère est une danse, le galop est une formidable danse. Le dressage est une danse apprise. Certains se ruinent pour des sculptures ou des danseuses, moi, c’est pour des sculptures qui dansent et ce n’est pas si mal.

 

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