"Nous sortirons du surendettement en deux ans, en faisant des efforts raisonnables"

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Interrogé par le magazine La Vie, François Bayrou a réaffirmé son attachement à la laïcité et présenté ses orientations pour redresser la France, jeudi 16 février.

"Nous

La Vie - Après l’interview de Nicolas Sarkozy au Figaro Magazine, vous avez lancé samedi 11 février un appel à tous les humanistes. Espérez-vous un ralliement de personnalités de droite ?

François Bayrou - Il ne s’agit pas de chercher les ralliements. Les propos de Nicolas Sarkozy heurtent les valeurs qui nous ont permis de faire la France. L’idée de pointer du doigt les chômeurs, d’organiser un referendum sur leurs droits, dresse les uns contre les autres. C’est le contraire du projet de la République française. C'est donc valeurs contre valeurs. Et ce sont les citoyens qui en sont saisis. Je suis sûr qu'un grand nombre de Français ne veut pas qu’on entraine le pays dans cette dérive. La crise si profonde qui est la nôtre aujourd'hui est la conséquence des décisions prises depuis 15 ans. Personne n’a fait preuve de lucidité. Depuis des années, j’avertis sur la dette, sur le "produire en France". Nous ne pourrons pas nous en sortir en entretenant une perpétuelle guerre civile larvée, encore moins sur le dos des chômeurs. J’estime que ces derniers sont des victimes. Et les immigrés ne sont pas les coupables non plus.

Nicolas Sarkozy se positionne sur des valeurs cruciales pour une frange de l’électorat catholique (contre l’euthanasie, contre le mariage et l’adoption homosexuels). Cette posture conservatrice vous prive-t-elle de ces voix? 


FB - Je suis croyant, et même pratiquant. Pourtant, je ne m'adresse jamais à un citoyen en tant que catholique, juif ou musulman, mais en tant que citoyen. C’est très blessant de s’adresser à une personne en fonction de sa croyance et des préjugés qu’on croit être les siens. Les catholiques sont-ils hors de la vie ? N’ont-ils pas d’enfants ? Croyez-vous qu’ils ne comprennent pas le monde comme il va ? Je refuse de parler aux gens en fonction de l’étiquette que leur religion pourrait leur coller. Je suis un croyant et même un pratiquant, c’est de l’ordre de l’intimité, et je suis aussi un militant de la laïcité. Je ne mélange jamais religion et politique. L’exhibition publique des sentiments religieux, cultivée par électoralisme, cela vise à découper la société française en morceaux. Ce n’est pas parce que vous avez des convictions chevillées au corps que vous devez les imposer à tous. Vous devez prendre en compte d’autres sensibilités et trouver les réponses les mieux adaptées. Un exemple : la fin de vie. La loi Leonetti, qui a été adoptée à l'unanimité, est excellente. Elle prend en compte tous les paramètres : non à l’acharnement thérapeutique, abolition de la souffrance du malade, décision collégiale, etc. Je pense que la vie mérite le plus grand respect, y compris au moment où elle finit. Les derniers mètres d’une vie valent autant que les premiers. Ils donnent autant de sens que les moments de pleine santé et de réussite.

Vous êtes donc attaché à une anthropologie judéo-chrétienne ? 

FB - Cet humanisme est ma conviction profonde. Il s’agit de considérer tout être humain comme un absolu. Vous ne valez pas moins au moment où vous êtes malade, paralysé, inconscient que dans le plus brillant de votre vie. Vous ne valez pas moins quand vous êtes pauvre que quand vous êtes riche. L’apport extraordinaire, civilisateur, du christianisme, c’est de dire : "Tous frères, donc tous égaux, et tous libres".

Nicolas Sarkozy a réaffirmé ses valeurs : travail, responsabilité, autorité. Quelles sont les vôtres ?

FB : Liberté, solidarité, responsabilité. Pourquoi responsabilité ? Car je suis de la famille d’esprit démocrate-chrétienne, dans la lignée de Marc Sangnier et du Sillon. Dans cette filiation, je me trouve avec des hommes comme Jacques Delors. Une phrase de Marc Sangnier me sert de talisman : "La démocratie est l’organisation sociale qui porte à son plus haut la conscience et la responsabilité du citoyen". C’est le contraire des opérations de communication dans lesquelles les citoyens sont considérés comme des gogos. Je suis opposé depuis le début du mandat de Nicolas Sarkozy à cette ligne politique qui consiste à opposer les Français entre eux. Le peuple ne peut pas valider cela. Les Français n’ont pas envie que leurs enfants se battent entre eux. La mission d'un président de la République n'est pas très différente de celle d'un père ou d'une mère de famille. Quelle est la première loi dans une famille ? On ne laisse pas les frères et sœurs se disputer entre eux. Quand on est président, on a la charge de tout un peuple. Il faut entrainer les gens à se respecter, à se comprendre. Dresser les citoyens les uns contre les autres est une faute contre la fonction présidentielle et contre le pays.

Quand on lit votre programme, on a l’impression que vous proposez aux Français "du sang, de la sueur et des larmes".

FB - Non, le sang, la sueur et les larmes, c'est maintenant. Quand une famille est en surendettement, elle vit une angoisse quotidienne. Elle doit emprunter aux amis, aux voisins, trouver un nouveau crédit "revolving". Elle a peur de l’huissier. Le pays a la même crainte pour son avenir. Le besoin le plus urgent est de retrouver confiance. Il faut avoir un projet pour sortir de ce surendettement. Je propose d’en sortir en deux ans, en faisant des efforts raisonnables.

"Le pouvoir est fait non pour servir le plaisir des heureux, mais pour la délivrance de ceux qui souffrent injustement". Vous avez cité l’Abbé Pierre en clôture de votre forum sur le contrat social, le 11 février. Comment maintenir le contrat social français tout en réduisant la dette ?

FB - Le contrat social ne peut pas résister si on ne réduit pas la dette ! L’Espagne, la Grèce, le Portugal – trois pays qui étaient dirigés par des socialistes – viennent de diminuer les retraites et les salaires des fonctionnaires de 10 à 15%. C’est pourquoi je suis en colère contre les socialistes français. Michel Rocard vient d'ailleurs de condamner le programme de François Hollande dans les termes les plus durs. C'est un mensonge de prétendre qu'on pourrait dépenser plus. Stop à l’irresponsabilité et à la division du pays ! Les Français ont besoin d’un projet dans lequel ils puissent mettre leurs convictions, qui leur permettent de sortir de l’équation politicienne classique entre la droite et la gauche.

Un autre axe de votre programme est l'Education. Le 4 février, lors de votre convention sur l'école, vous avez insisté sur le terme "instruire", pourquoi ?

FB - La crise actuelle de l’Education nationale est une crise de la transmission et de la structuration des connaissances. Beaucoup de jeunes sont en échec devant la lecture. 40% des enfants entrant en 6è sont en difficulté devant la lecture ou l'écriture. Les enseignants le savent très bien, ils voient cet effondrement. Instruire, c’est éduquer et former… Qu’on commence par recréer les conditions de la transmission à l’école primaire. Qu’on ait la paix dans les classes. Que l’enseignant et l’élève soient respectés.

Quand Nicolas Sarkozy s’adresse récemment aux autorité religieuses en leur disant : "faites-vous entendre", outrepasse-t-il son rôle ?

FB - Le président de la République n’a pas à enjoindre quoi que ce soit aux religions. Ni cela, ni le contraire de cela. Le dirigeant politique ne dirige pas tout. Il y a plusieurs siècles, dans un texte visionnaire, Blaise Pascal a défini la "distinction des ordres". Il y a un ordre pour le pouvoir, un autre pour la religion, un autre encore pour la science. Ces domaines sont indépendants et séparés les uns des autres. On a compris que l’église catholique se trompait lorsqu'elle a voulu interdire à Galilée de démontrer que la Terre tournait autour du Soleil. Même distinction entre politique et religion. Les responsables religieux peuvent et doivent faire entendre leurs voix, mais c’est le législateur qui vote. Chacun est dans son rôle et il ne faut pas mélanger les rôles. C'est la laïcité, et c'est ce qui nous permettra de vivre ensemble dans l'avenir.

Sur la bioéthique n’y a-t-il pas un risque de confusion des genres justement ?

FB - Pour ma part, voilà comment je procède : je considère ce qui est pour moi irréductible, à savoir le respect de la personne humaine quel que soit son état. Pour le reste, j’écoute les sensibilités, les arguments. Je reçois des associations, j’essaie de comprendre. Sur un tout autre sujet comme l’adoption par des couples homosexuels, par exemple, je me suis forgé l’idée, après avoir beaucoup consulté, qu’il faut commencer par l’intérêt de l’enfant. Il est là. Essayons de le rassurer, de l’aimer, de le respecter.

Faut-il légiférer sur le mariage homosexuel ?

FB - Pour moi, un tel engagement, à égalité de droits et de devoirs, doit s'appeler union, et ne doit pas porter le nom de mariage. C’est le respect du droit à la différence, mais dans les deux sens. Nous héritons de traditions qui viennent de très loin. Il faut respecter aussi la sensibilité de ceux pour qui elles sont précieuses. Parler de ces sujets sans prudence, cela fait beaucoup de dégâts.

Dans Ceux qui croient au Ciel et ceux qui n’y croient pas de Jean-Yves Boulic (Grasset), vous disiez : "Vous ne pouvez pas croire avec la moitié de vous-même". Comment conciliez-vous foi et politique ?

FB - Je crois à 100%, et c’est un privilège. Et en même temps, je suis 100% citoyen. J’essaie de comprendre les situations, les gens qui les vivent, puis de trouver la réponse la plus juste, la plus responsable.

Que feriez-vous si vous arrêtiez la politique ?

FB - Arrêter la politique, pour moi, signifierait cesser d'être citoyen. Je me battrai toute ma vie pour ce que je crois, à la place qui sera la mienne. Je ne peux pas cesser de me battre quand je vois une France en pleine dérive. Je crois détenir les réponses les plus équilibrées pour mon pays.

Vous arrive-t-il de douter ?

FB - Non, je ne doute pas. En outre, je ne suis pas porté à la repentance perpétuelle. François Mitterrand ne l’était pas non plus. Il y a sûrement des choses que j’aurais pu faire mieux, mais la ligne était juste.

Etes-vous parfois ébranlé dans votre foi ?

FB - Jamais ! Cela ne veut pas dire que je n’ai pas des chagrins, des tristesses, mais je ne les ai jamais rapportés à un doute sur l’essentiel. C’est un grand mystère que le créateur nous ait fait libre et mortel.

Une parole du Christ est-elle importante pour vous ?

FB - Le plus important pour moi, ce qui me touche au plus profond, c'est qu’il ait pleuré quand Lazare est mort. C’est en cela qu’il s’est fait pleinement homme. Il allait le ressusciter, et pourtant il s’est écroulé en pleurant à la mort de son ami. C’est bouleversant. Cela prouve qu’il était homme avec les mêmes chagrins profonds que les nôtres. Qu’il ait pleuré, c’est la signature même de l’incarnation.


Propos recueillis par Olivia Elkaim et Michel Cool

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